Au printemps 1940, l’écrivain Claude Simon,
brigadier au 31e régiment de dragons, est envoyé
en Belgique avec son escadron pour contrer l’offensive
allemande. Après une progression à cheval de quatre-vingts
kilomètres vers l’est, l’escadron subit ses
premières pertes face aux blindés ennemis. L’ordre
de repli est donné. Cinq jours plus tard, après
avoir repassé la frontière française, l’escadron
tombe dans une embuscade et est pratiquement anéanti
: au soir du 17 mai, Simon est l’un des deux seuls survivants
d’un groupe d’une quarantaine de soldats.
L’évocation de ces quelques jours de mai est centrale
dans l’œuvre du romancier.
En 2010, je parcours le département du Nord et la Belgique
de Maubeuge à Namur. Entre mes souvenirs de lecture,
l’expérience possible des lieux aujourd’hui
et ce que Simon et des milliers d’autres ont vécu
sur place il y a soixante-dix ans, l’écart est
maximal. Le travail de la mémoire, de l’écriture
et de la lecture, la transformation du paysage et les mutations
de tous ordres intervenues depuis, font, en définitive,
le caractère incommensurable des situations.
Ce travail a bénéficié
de l’aide à la création
de la Région Centre.
2011, 12 photographies, 150 x 185cm
tirages encres pigmentaires, encadrement bois.
1.
Lac du Val Joly, forêt de Trélon
« A la veille de l’offensive
allemande du 10 mai 1940, le premier escadron
bivouaque depuis environ un mois dans la forêt
de Trélon (département du Nord),
tout près de la frontière belge. Le 10 mai, ordre
d'alerte à dix heures du matin environ (l'armée
allemande a pénétré en Belgique et en Hollande
à cinq heures du matin). »*
*Claude Simon,
« Petit “historique” » (1984), Œuvres, Gallimard, coll. « Bibliothèque
de la Pléiade », 2005, p. 1227-1233.
2.
Bois de Nimont, près d'Assesse (province
de Namur)
« L’escadron se met en marche
à midi sur un axe Rance-Boussu-Morialmé-Annevoie-Rouillon
où la Meuse est franchie le 11 vers midi.
La progression continue par Assesse, puis Natoye.
A cinq kilomètres environ après
cette ville première attaque par l’aviation
allemande, suivie peu après d’une
seconde. »
3.
Lé Fontaine
« L’escadron […] avait
reçu l’ordre de tenir le petit pont
qui franchit […] la voie ferrée en
tranchée. »
4.
Lé Fontaine
« […] des éléments
ennemis postés sur la grande route […]
ont ouvert le feu à la mitrailleuse. […]
Nous (du moins mon peloton) sommes alors partis
au galop à travers champs […] en
direction de la voie de chemin de fer […]
malheureusement bordée […] d’épais
buissons qui nous ont forcé à remonter
la colline, toujours au galop et sous le feu des
mitrailleuses, et à un moment […]
j’ai vu s’ouvrir devant moi un véritable
précipice […] où nous avons
tous roulé pêle-mêle […]. »
5.
Profondeville (province de Namur)
« Certains cavaliers restés
isolés (dont moi) ne parviennent à
repasser la Meuse que vers le soir, à Profondeville.
[…] la Meuse qui, à cet endroit,
coule au fond d’une vallée profondément
encaissée et aux rives escarpées
constitue une “coupure” très
difficile à franchir pour un attaquant,
et par conséquent très favorable
à la défense. »
6.
Bois de Haute-Marlagne
« L’escadron se regroupe à
l’ouest de la Meuse dans le bois de Haute-Marlagne.
Il a perdu dans la journée environ un quart
de son effectif. […]
Le 13 et le 14 mai, l’escadron reste en
réserve. »
7.
Joncret (province de Hainaut)
« 16 mai — Décrochage.
L’escadron bat en retraite toute la journée.
Organise le soir la défense du village
de Joncret. Faible bombardement d’artillerie.
Contact à la tombée de la nuit avec
premiers éléments ennemis. Ordre
de décrocher vers environ minuit. »
8.
Cousolre (département du Nord)
« 17 mai — Après avoir
battu en retraite pendant la nuit, l’escadron
à la tête duquel est venu se placer
le colonel Ray tombe vers huit (?) heures du matin
dans une embuscade tendue par les blindés
allemands déjà parvenus dans le
village de Cousolre, à la frontière
française. L’escadron est pratiquement
anéanti. »
9.
Sars-Poteries (Avesnois)
« Vers dix heures (?), le colonel Ray
accompagné du chef d’escadron Cuny
se dirige (toujours à cheval) vers Avesnes-sur-Helpe
par la route Solre-le-Château – Avesnes.
Il ne lui reste plus alors de son régiment
que deux cavaliers (dont moi). Des blessés
et des réfugiés signalent que des
parachutistes allemands sont embusqués
derrière les haies. Des avions allemands
passent en mitraillant. À ce moment il
n’existe plus de front organisé. »
10.
« Peu après avoir traversé
le village de Beugnies, le colonel Ray et le commandant
Cuny sont abattus par un parachutiste allemand. »
11.
Chemin des fermes
(commune de Beugnies)
« Les deux cavaliers survivants errent
au hasard dans la campagne, se cachent dans une
ferme. »
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